Photo: Marcello Di Francesco
Ligne médicale

Ivresse de la technique : profondeur, narcose et agences de formation

Les pratiques et les standards de formation concernant la narcose aux gaz inertes varient du tout au tout dans le monde de la plongée technique. Les standards chez Global Underwater Explorers (GUE), probablement les plus conservateurs en la matière, exigent l’utilisation d’hélium pour les plongées à plus de 30 m afin de réduire les risques de narcose et les niveaux de densité des gaz. Nous y reviendrons. GUE ne propose pas de plongée à l’air. L’organisme privilégie plutôt l’utilisation du nitrox 32 pour les activités de plongée à faible profondeur.

RAID recommande de limiter la pratique de la plongée à l’air à une profondeur de 30 m. L’organisme propose également des sessions à 40 m de profondeur avec de l’air/du nitrox, mais les plongeurs peuvent aussi opter pour un mélange avec de l’hélium. NAUITEC recommande une profondeur maximale de 39 m et présente le nitrox comme une option plus raisonnable que l’air. Toutefois, ils ont des limites liées à la narcose plus strictes pour la plongée aux mélanges gazeux, autorisant une profondeur narcotique équivalente (END) de 30 m maximum. 

Le programme de plongée technique de SSI recommande une profondeur narcotique équivalente (END) maximale de 30 m en circuit ouvert, c'est-à-dire pas plus de 30 m de plongée à l'air, et une END de 24 m en eau froide, par mauvaise visibilité ou dans des conditions difficiles / d'effort intense. Leur nouveau programme en recycleur (CCR) prévoit un maximum de 30 m pour le diluant à l'air, mais qui peut être étendu à 35 m si le trimix n'est pas disponible. L'agence cherche à limiter les plongées en mélange à une densité de gaz de 5,2 g/l. 

Cependant, ils autorisent les plongées loisir dites "profondes" à l'air jusqu'à la limite traditionnelle de 40 m, à condition que la température de l'eau soit supérieure à 20 °C (ce qui garantit une densité de gaz inférieure à 6 g/l). "Nous essayons d'arrêter la plongée à l'air en profondeur chaque fois que cela est possible, et il existe un parcours d'entraînement qui permet de le contourner", explique Adam Wood, directeur international de la formation Extended Range (XR) de SSI, en ajoutant: "Avec nos régions plus éloignées, nous sommes toujours en train de débattre pour éliminer complètement l'air".

Les autres organismes, pour la plupart, définissent une profondeur maximale de 50-55 m pour l’air/le nitrox, tout en reconnaissant que ces limites devraient être adaptées aux conditions extérieures. [1] Les limites de profondeur établies par la Professional Association of Diving Instructors (PADI) varient entre 30 et 50 mètres en fonction du type de plongée. "En général, les cours TecRec enseignent des pratiques largement acceptées par la communauté : 30 mètres comme limite pour les plongées complexes et les plongées en pénétration, 40 mètres comme limite extérieure pour les plongées en pénétration et les plongées en recycleur, et 50 mètres comme limite pour les plongées en eau libre et circuit ouvert", a expliqué Karl Shreeves, Technical Development Director (Directeur du Développement Technique) de PADI. En tout cas, PADI exige que les plongeurs passent leur cours TEC 45 ou TEC 50, c'est-à-dire 45 m ou 50 m en "air profond", comme condition préalable pour suivre les cours trimix PADI.

La limite de profondeur pour la plongée à l’air définie par l’International Association of Nitrox and Technical Divers (IANTD) est, quant à elle, de 52 m. « Du fait de l’augmentation du prix de l’hélium, on peut s’attendre à observer une augmentation de la pratique de plongée profonde à l’air (en circuit ouvert) » prévoit Tom Mount, fondateur de IANTD. En est-on bien sûr ? Et si l’on optait plutôt pour un recycleur ?

Le British Sub-Aqua Club (BSAC) recommande de respecter une END de 30 m. Toutefois, les plongeurs en scaphandre autonomes du BSAC sont capables de pratiquer la plongée à l’air à une profondeur de 50 m. Selon Mike Rowley, le responsable technique chez BSAC, « les membres s’opposent fortement à une limite inférieure à 50 m ». Le BSAC travaille actuellement à l'intégration des dernières recommandations sur la densité des gaz. 
De même, si la Confédération Mondiale des Activités Subaquatiques (CMAS) établit une END de 30 m pour la plongée à mélange gazeux, les plongeurs peuvent toujours faire de la plongée à l’air à une profondeur maximale de 40 m, voire de 50 m pour les moniteurs.

Technical Diving International (TDI) préconise une formation en la matière pour les plongeurs, de façon à ce qu’ils puissent établir leurs propres limites. L’organisme propose des formations de plongée à l’air jusqu’à 55 m de profondeur, mais également, en parallèle, une formation de plongée à l’hélium à des profondeurs plus importantes. NAUITEC ne propose pas de formation de plongée profonde à l’air. « Nous avons arrêté ce type de plongée en 1997, puisque c’est l’une des causes majeures d’accidents et de décès », selon Daniel Millikovsky, responsable des formations, formateur et examinateur des moniteurs de plongée technique chez NAUITEC.

Fait exception à la règle la Professional Scuba Association International (PSAI), fondée en 1962 par Hal Watts, dit « M. Plongée », qui détenait le record de plongée profonde à l’air et qui a formé plusieurs champions. La PSAI continue à proposer ses formations de « gestion de la narcose » en plongée profonde à l’air, divisées en sept niveaux progressifs, allant de 30 m à 73 m de profondeur pour les plongeurs les plus aguerris. Selon Gary Taylor, le président de la PSAI, ces formations sont prisées là où l’hélium est plus difficile à obtenir, en particulier le cours de niveau 5 à une profondeur de 60 m. Toutefois, le cours de niveau 7 à 73 m (pO2=1,74) est encore dispensé. « La formation à 73 m de profondeur se fait sans accroc. Il n’y a pas eu d’accidents à ce jour », dit-il.

Les organismes de formation, la CMAS, GUE, la PADI ou encore la PSAI enseignent que l’oxygène a un effet narcotique dans un certain intervalle de pO2 (1,6 ATA ou moins), et que cela devrait être pris en compte dans le calcul des END ; le BSAC, IAND, NAUI et TDI défendent la thèse opposée et RAID ne prend pas position. SSI enseigne que l'O2 est narcotique, mais beaucoup moins que le N2. RAID suggère que les plongeurs et les instructeurs considèrent l'oxygène comme un narcotique, et travaillent avec les deux séries de nombres dans leurs END (O2 narcotique, et non narcotique), en reconnaissant qu'en dehors de la formation, ils vont faire un choix personnel. "Nous voulons simplement qu'ils soient bien informés", a expliqué Steve Lewis, directeur de la formation.

Rappelons tout de même que la plupart des limites de profondeur pour la plongée profonde à l’air/au nitrox définies par les organismes de formation sont supérieures aux nouvelles recommandations sur la densité des gaz (en anglais) publiées par Gavin Anthony et le Dr Simon Mitchell, qui préconisent de maintenir une densité de gaz respiratoire inférieure à un maximum de 6,2 g/L. Cela se traduit par une limitation de la plongée à l’air/au nitrox à une profondeur de 37 m. Ces nouvelles recommandations compliquent la tâche des organismes de formation tentant de justifier la pratique de la plongée profonde à l’air, ce qui ne signifie toutefois pas que les plongeurs se détourneront de cette pratique.

Costantino Balestra, vice-président en charge de la recherche et de l’éducation chez DAN Europe qui a coécrit les documents relatifs à la narcose explique : « Nous avons observé une sorte d’addiction à la narcose que nous n’avons pas encore traitée dans nos publications. Certains plongeurs apprécient cette sensation. Ils disent adorer la plongée profonde, mais c’est dû à la narcose. »

Voici un cas illustrant ce propos : après avoir interviewé le Dr Balestra, j’expliquais sur Messenger à un plongeur britannique se disant lui-même adepte des grandes profondeurs que je travaillais sur un article traitant de la narcose aux gaz inertes. Il m’a alors demandé si nous avions déjà admis l’hypothèse que les plongeurs pratiquaient la plongée pour l’azote. Je ne suis pas sûr de comprendre… « C’est mon cas », m’écrit-il. « À 60 mètres de profondeur en plongée à l’air, j’ai l’impression de retrouver mes 17 ans. » Il s’agirait donc d’une addiction à la jeunesse ? Le plongeur a mis fin à la conversation en parlant de la « drogue la plus chère et la plus dangereuse du monde ».

Surveillez votre END !


[1] L’assurance de plongée DAN Europe recommande de limiter la pression partielle d’azote (pN2) à un maximum de 5,6 ATA (60 m) pour la plongée à l’air et une pN2 de 3,95 ATA pour la plongée à mélange gazeux (ce qui équivaut à une plongée à l’air d’environ 40 m de profondeur).


Êtes-vous un adepte des plongées profondes ? Aimez-vous les défis ? Aimez-vous l’azote ?

Faites le test !


À propos de lauteur

Michael est un journaliste et technologue récompensé qui a écrit sur la plongée et la technologie de la plongée pendant des décennies. Il a inventé l’expression « plongée technique ». Son travail a été publié dans des magazines tels que Alert Diver, DIVER, Quest, Scientific American, Scuba Times, Sports Diver, Undercurrent, Undersea Journal, WIRED ou encore X-Ray. Il a fondé aquaCORPS et en a été le rédacteur en chef, qui a contribué à faire entrer la plongée technique dans le courant dominant de la plongée sportive. Il a également produit les premières conférences Tek, EuroTek et AsiaTek.

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