Effets de la plongée sur le cerveau (2e partie)

Nous continuons d’examiner le lien possible entre les pathologies de la plongée aigües et les complications neurologiques. En l’absence d’une réponse claire sur le sujet, nous avons soumis aux experts une deuxième série de questions en vue de mieux comprendre certains effets de la plongée sur le cerveau.

Quel lien existe-t-il entre la réduction des performances neuropsychologiques et la présence de lésions cérébrales ?

Richard Moon : À ce jour, personne n’a démontré un tel lien chez les plongeurs.

Günalp Uzun : La présence de lésions cérébrales ne reflète pas toujours une réduction des performances neuropsychologiques. Toutefois, certaines études ont établi une corrélation entre les lésions de la substance blanche et les troubles cognitifs chez les personnes âgées. D’autres semblent indiquer que les lésions de la substance blanche périventriculaire sont annonciatrices du développement futur d’une démence. Cela dit, les études qui se sont penchées sur le lien potentiel entre les lésions cérébrales et les performances neuropsychologiques chez les plongeurs n’ont pas été en mesure de démontrer l’existence d’une telle corrélation.

Kay Tetzlaff : Il semble exister un lien significatif entre les troubles de la fonction exécutive et de la mémoire et les lésions de la substance blanche dans le cerveau.

Dans quelle mesure l’apnée et l’hypoxie volontaires pourraient-elles être liées à l’apparition de lésions cérébrales chez les plongeurs en apnée ?

Richard Moon : Lorsque les plongeurs en apnée atteignent la surface, ils présentent généralement un faible niveau d’oxygène dans le sang (hypoxémie), ce qui peut les amener à perdre connaissance pendant quelques secondes. Il est dès lors concevable que de tels épisodes hypoxiques à répétition puissent causer des dommages cérébraux cumulatifs.

Günalp Uzun : Plusieurs études se sont penchées sur la question des lésions cérébrales chez les plongeurs en apnée. Une étude récente (Andersson et al., 2009) a notamment observé une augmentation des niveaux sériques de la protéine S100B, un marqueur de dommages neuronaux, immédiatement après une apnée volontaire. Les auteurs ont avancé que cette observation pouvait indiquer la présence de dommages neuronaux induits par l’hypoxie ou une altération temporaire de la barrière hémato-encéphalique. Cela dit, il n’a pas encore été déterminé si l’apnée volontaire pouvait causer des dommages cérébraux à long terme.

Kay Tetzlaff : Une apnée prolongée réduit l’oxygénation du cerveau. Dans le domaine de l’apnée obstructive du sommeil, il a été démontré que l’hypoxie intermittente était associée avec un déclin cognitif et des infarctus cérébraux silencieux, entraînant principalement des maladies cérébrovasculaires au niveau des petits vaisseaux. Toutefois, contrairement aux patients souffrant d’apnée obstructive du sommeil, les plongeurs en apnée ne semblent pas développer d’activation persistante du système sympathique ou de réflexe cardiovasculaire significatif quel qu’il soit. L’augmentation des niveaux sériques d’une protéine appelée S100B (un marqueur de dommages cérébraux) observée après des apnées extrêmes chez des apnéistes d’élite, pourrait refléter une altération de la barrière hémato-encéphalique. Cette protéine est toutefois un marqueur non spécifique, dont le taux peut augmenter suite à une lésion extracrânienne. Les apnées extrêmes, comme celles réalisées par les apnéistes d’élite, peuvent avoir des répercussions importantes sur les systèmes cardiovasculaire et respiratoire. Notons par ailleurs que la plongée en apnée extrême est une activité dangereuse qui peut présenter de sérieux risques pour la santé, parmi lesquels les dommages cérébraux à long terme sont les moins préoccupants.

Quels risques la plongée pose-t-elle au niveau du système nerveux central ?

Richard Moon : Le risque principal, même s’il est faible, est la pathologie de décompression (PDD) cérébrale. Celle-ci peut être causée par une MDD (formation de bulles in situ dans les tissus) caractérisée par la formation de bulles dans les vaisseaux sanguins, où elles sont transportées vers le cerveau. La PDD cérébrale peut également être provoquée par une embolie gazeuse artérielle (AGE), caractérisée par la formation de bulles suite à la rupture d’alvéoles pulmonaires pendant la décompression, soit parce qu’un plongeur retient sa respiration en remontée, soit en raison d’une maladie pulmonaire.

Günalp Uzun : La plongée en scaphandre est associée avec différents risques neurologiques, parmi lesquels la MDD, l’AGE, l’anoxie et le syndrome nerveux des hautes pressions.

Kay Tetzlaff : Le principal mécanisme conduisant à des dommages du système nerveux central en plongée est celui de l’embolie gazeuse au niveau des vaisseaux cérébraux artériels. Ceci peut se produire de manière aigüe suite à une AGE provoquée par un barotraumatisme pulmonaire ou par le passage d’embols gazeux veineux dans la circulation artérielle (en cas de foramen ovale perméable, par exemple). Par ailleurs, l’embolie silencieuse provoquée par des bulles de gaz inerte au niveau de microvaisseaux cérébraux peut être à l’origine de maladies chroniques. Dans le cas de plongées sans incident ou réalisées dans la courbe de sécurité (sans palier), le risque d’atteinte du système nerveux central devrait être minime.

Les plongeurs n’ayant pas d’antécédent de MDD devraient-ils s’inquiéter du risque de lésions cumulatives à long terme provoquées par la plongée ?

Richard Moon : Non.

Günalp Uzun : Non. Il n’existe à ce jour aucune preuve convaincante que la plongée en scaphandre provoque des lésions cérébrales à long terme chez les plongeurs asymptomatiques.

Kay Tetzlaff : Il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Comme indiqué plus haut, les bulles de gaz qui se forment lors d’une plongée peuvent être à l’origine d’accidents vasculaires cérébraux ischémiques, mais de telles lésions ne devraient pas se produire si le plongeur respecte les limites et procédures recommandées.

Présentation des experts

Richard Moon, M.D., a obtenu son doctorat en médecine à l’Université McGill de Montréal, au Canada. Il est professeur d’anesthésiologie et de médecine ainsi que directeur médical du Centre de médecine hyperbare et de physiologie environnementale du Centre médical de la Duke University de Durham, en Caroline du Nord, aux États-Unis.

Kay Tetzlaff, M.D., est professeur agrégé de médecine dans le département de médecine sportive à l’université de Tuebingen, en Allemagne, et consultant en médecine hyperbare et de la plongée.

Günalp Uzun, M.D., est professeur agrégé en médecine hyperbare et sous-marine à l’hôpital universitaire GMMA d’Haydarpasa à Istanbul, en Turquie.

Étude en cours

Afin de mieux comprendre certains effets de la plongée sur le cerveau, le département de recherche de DAN a lancé une étude visant à déterminer si la plongée en scaphandre peut avoir des effets aigus sur les fonctions exécutives du cerveau chez les plongeurs. L’étude aura pour objectif de détecter d’éventuels dysfonctionnements neurologiques après des plongées en apnée extrêmes et des plongées en scaphandre à grande profondeur chez des plongeurs asymptomatiques.

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