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Dernières découvertes relatives à la MDD et à la physiologie de la plongée (1re partie)

Tous les plongeurs connaissent la fameuse maladie de décompression (MDD) causée par les bulles qui se forment dans l’organisme pendant la plongée. Ces bulles sont généralement constituées d’azote, un gaz inerte. La MDD est un risque connu pour la santé des plongeurs, qui peut se manifester sous la forme de rougeurs cutanées ou de douleurs articulaires sous sa forme légère, mais également provoquer des paralysies permanentes et même la mort sous sa forme grave. Suite à l’accumulation de gaz inerte dans l’organisme pendant l’exposition à une pression ambiante accrue, une désaturation trop rapide de ce gaz peut entraîner la formation de bulles circulantes ou tissulaires susceptibles de bloquer les vaisseaux sanguins, en particulier les petits capillaires. Si les bulles atteignent les capillaires cérébraux, médullaires ou cardiaques, les conséquences peuvent être graves, voire catastrophiques. Une meilleure compréhension de ce problème et la prise de mesures préventives sont cruciales pour éviter ce type de risque et minimiser les conséquences potentielles.

En 2009, un groupe de 14 chercheurs dévoués a lancé un projet baptisé PHYPODE (PHYsioPathology Of Decompression), financé par l’Union européenne dans le cadre de l’initiative des réseaux de formation initiale Marie Curie Initial Training Networks (ITN). L’objectif : étudier la MDD au-delà du processus purement physique de la pathologie.

Aujourd’hui, soit quatre ans plus tard, le projet est bouclé. Les conclusions ont été présentées le 14 décembre 2014 lors de la conférence intitulée « The Science of Diving » (La science de la plongée), organisé à cet effet par DAN (Divers Alert Network Europe) à l’ISEK à Bruxelles, en Belgique.

Les suppositions des scientifiques

Étant donné que certains cas de MDD semblent se produire de façon imméritée et ne peuvent s’expliquer par la seule sursaturation tissulaire, l’on suppose que les modèles de décompression actuels, sur lesquels sont construits les ordinateurs de plongée modernes, ne sont pas suffisamment sûrs et doivent être révisés. Par ailleurs, l’on suppose que la MDD n’est pas un événement purement physique, mais qu’il s’agit également d’un processus physiologique influencé ou déclenché par plusieurs facteurs pouvant varier d’une personne à l’autre. Ce qui conduit à l’hypothèse que chaque plongeur présente un risque individuel de MDD. Par conséquent, les recherches futures réalisées dans ce domaine devront s’axer sur le développement d’une technologie de plongée en temps réel, plus avancée. Idéalement, de telles recherches devront aboutir à la création d’un « super ordinateur de plongée » doté d’un nouvel algorithme et capable d’enregistrer en temps réel les données médicales du plongeur (avant, pendant et après la plongée), faisant de celui-ci une espèce de « plongeur bionique ».

Les présentations des chercheurs

Une approche multifactorielle a été nécessaire afin de mieux comprendre les nombreux facteurs et mécanismes physiologiques en jeu. Toute étude permettant d’améliorer la compréhension des mécanismes et processus exacts derrière l’apparition d’une MDD représente une étape importante en matière de sécurité de la plongée, l’un des piliers de la mission de DAN. C’est pourquoi DAN a créé le laboratoire DSL (Diving Safety Laboratory) en 1994, dans le but de recueillir le maximum de données relatives à des plongées réelles, ainsi qu’aux accidents de plongée. Sous la direction du professeur A. Marroni, président de DAN Europe et l’un des plus éminents scientifiques impliqués dans le projet PHYPODE, ces données ont été analysées d’un point de vue épidémiologique en vue d’identifier les facteurs de risque et leurs marqueurs.

En 2014, la base de données avait déjà recueilli des données relatives à 39 944 plongées réalisées par 2 615 plongeurs (2 176 hommes et 439 femmes, dans une fourchette d’âge moyenne de 33 à 51 ans).

Les scientifiques ont utilisé la technique d’échographie Doppler pour détecter la production de bulles circulantes. Ils ont ainsi pu prouver que les bulles apparaissaient 30 à 75 min après le retour à la surface, et qu’elles cessaient après 1,5 h. Ils ont également observé que la production de bulles augmentait avec l’âge, mais qu’elle n’était pas influencée par le sexe des sujets.

Les scientifiques ont en outre présenté de nouvelles données intéressantes relatives à la prise de l’avion après la plongée. Les échocardiographies réalisées sur des plongeurs pendant le vol de retour suite à un séjour de plongée d’une semaine ont montré que les plongeurs les plus susceptibles à la production de bulles pathogènes après les plongées pouvaient avoir à patienter plus longtemps entre leur dernière plongée et le vol en avion commercial (36 à 48 h au lieu de 24 h).

En ce qui concerne d’autres risques liés à la plongée, les plongeurs diabétiques ont eu droit à de bonnes nouvelles. En effet, un nouveau système de contrôle en continu de la glycémie (taux de glucose sanguin) sous l’eau a récemment vu le jour. Les tests du dispositif ont été réalisés au moyen de moniteurs étanches reliés à des capteurs placés sous la combinaison humide.

Par ailleurs, les recherches relatives à l’œdème pulmonaire induit par la plongée en apnée ont mis en lumière une prédisposition génétique susceptible d’avoir un effet favorable sur la MDD chez les plongeurs. Comme l’indiquent plusieurs études récentes, certains génotypes produisant une enzyme appelée e-NOS et contenant de l’acide glutaminique à la place de l’acide aspartique entraîneraient une production accrue d’oxyde nitrique (NO), qui peut avoir un effet protecteur contre la formation de bulles.

Si l’on en sait beaucoup sur les bulles en général, leur mécanisme de formation précis demeurait plutôt obscur jusqu’à récemment. C. Balestra, professeur à temps plein responsable du laboratoire de physiologie intégrative de la Haute-École Paul Henri Spaak de Bruxelles, en Belgique, a mené une étude sur la formation de bulles lors de la décompression hyperbare, c.-à-d. sur la formation de bulles d’azote dans le système vasculaire des plongeurs en scaphandre après une plongée. Les processus physiques et physiologiques interactifs associés ont également été examinés.
En vue de rendre visibles la croissance et la densité des bulles et d’être en mesure d’explorer leur mécanisme précis de formation, le prof. Balestra a utilisé un dispositif expérimental d’enregistrement optique. Il s’est ensuite penché sur deux types de surfaces tissulaires, à savoir les tissus musculaires (hydrophiles) et les tissus gras (hydrophobes) : le nombre de bulles était beaucoup plus important au niveau des tissus gras, hydrophobes, qu’au niveau des tissus musculaires, hydrophiles. Les chercheurs ont émis l’hypothèse que ceci était dû aux points nucléiques hydrophobes à partir desquels se forment les bulles. L’âge semble être lié à l’augmentation du nombre de noyaux hydrophobes dans le système vasculaire, ce qui pourrait expliquer le risque accru de MDD et de maladies telles qu’Alzheimer, la maladie cœliaque, les allergies, le diabète et le cancer chez les personnes plus âgées. Les noyaux hydrophobes présents sur la paroi interne des vaisseaux et qui peuvent donner lieu à la formation d’une phase gazeuse revêtent dès lors une importance capitale sur le plan interdisciplinaire. Les plongeurs ne seront sans doute pas les seuls intéressés par les conclusions d’une telle étude.

Peter Germonpré (directeur médical du centre d’oxygénothérapie hyperbare de l’Hôpital militaire de Bruxelles, en Belgique) a mis l’accent sur l’importance du « préconditionnement », comprenant des mesures que chaque plongeur peut prendre avant la plongée afin de réduire le risque de MDD. De manière générale, on suppose qu’il existe deux mécanismes possibles de réduction des bulles : un mécanisme biochimique, qui consiste à minimiser la réaction inflammatoire oxydative induite par la présence de bulles de décompression dans l’organisme, et un mécanisme mécanique, qui consiste à réduire le nombre de « germes » de bulles dans les vaisseaux sanguins. Afin de réduire la formation de bulles, il est recommandé de prendre les mesures suivantes avant la plongée : réaliser un exercice physique, rester au chaud, s’hydrater, respirer de l’oxygène, effectuer une vibration corporelle et consommer des aliments riches en antioxydants.
L’embolie gazeuse vasculaire ou veineuse (VGE) est depuis longtemps considérée comme une cause et un marqueur de MDD. Plus le nombre de bulles dans le sang est élevé, plus le risque de développer des symptômes dus à la décompression est important. Comme indiqué plus haut, les bulles se forment à partir de points nucléiques hydrophobes présents à la surface des vaisseaux sanguins. Par conséquent, le maintien d’une bonne santé vasculaire et d’une bonne forme physique permet de réduire le risque de MDD.

Essentiellement, l’exercice physique augmente la ventilation et contribue à éliminer les bulles. Le stress dû à la chaleur produit des protéines qui fournissent une protection contre la chaleur, susceptibles de prévenir la formation de bulles. En ce qui concerne l’hydratation, si son effet préventif est bien connu, elle doit avoir lieu bien avant la plongée afin que l’eau ait le temps d’atteindre les tissus de l’organisme. L’absorption d’une grande quantité d’eau juste avant une plongée n’est d’aucune aide. Cela ne fait qu’augmenter le volume liquidien dans les vaisseaux, ce qui entraîne une perte liquidienne soudaine pendant la plongée, et augmente par conséquent le risque de MDD. Se soumettre à une vibration mécanique externe de tout le corps avant la plongée réduirait le risque de MDD en éliminant les microbulles préexistantes. C’est pourquoi certains opérateurs de plongée choisissent souvent de se rendre sur les sites de plongée en zodiac. Cela dit, le système lymphatique joue également un rôle important dans l’élimination des micronoyaux à l’origine de la formation de bulles au travers du drainage lymphatique, qui est lui aussi renforcé par la vibration corporelle avant la plongée. Enfin, il est important de noter que la respiration d’oxygène à 100 % avant la plongée est une façon efficace d’éliminer l’azote de l’organisme.

Comme mentionné précédemment, un exercice physique léger réalisé avant la plongée a un effet protecteur connu contre la MDD. Toutefois, un effort intense en combinaison avec la plongée est considéré comme un facteur de risque majeur de développement d’une MDD en raison de son effet inflammatoire sur les vaisseaux sanguins. Z. Dujic, de l’école de médecine de l’université de Split en Croatie, a étudié l’effet d’exercices physiques de différentes intensités réalisés avant, après et entre les plongées.
Il a notamment observé qu’un exercice physique réalisé après la plongée pouvait provoquer une artérialisation, soit l’ouverture de petits orifices permettant le passage de bulles du sang veineux vers le sang artériel. Ce phénomène, également appelé « shunt artérioveineux », est associé avec une augmentation du risque relatif de MDD. L’artérialisation varie d’une personne à l’autre. Chez certaines personnes, le simple fait de nager à la surface ou de porter l’équipement après une plongée constitue un effort physique suffisamment intense pour entraîner une artérialisation.
L’on a toutefois découvert que le phénomène d’artérialisation pendant un exercice physique pouvait être évité en respirant de l’oxygène pur. En effet, l’oxygène étant un vasoconstricteur, il contribuerait à la fermeture des shunts. Ceci pourrait également expliquer l’effet positif de la respiration d’oxygène utilisé en tant que traitement de premiers secours pour la MDD.
Deux études comparatives ont montré que la course aérobique et le cyclisme anaérobique pratiqués avant la plongée avaient un effet protecteur et réduisaient les microparticules (c.-à-d. les noyaux de formation des bulles). Cependant, l’exercice physique réalisé après la plongée était associé avec l’observation de shunts et donc d’une artérialisation dans 50 % des cas. En conclusion, les plongeurs les plus susceptibles aux bulles pathogènes et à l’artérialisation présentent un risque élevé de MDD.

D’autres observations scientifiques intéressantes, telles que le rôle joué par l’endothélium vasculaire dans la MDD, la toxicité de l’oxygène ou encore le concept de « plongeur bionique », seront présentées dans la deuxième partie de l’article, qui paraîtra dans le prochain numéro de l’Alert Diver.


Ouvrage en vedette 


« The Science of Diving, Things your instructor never told you »

Cet ouvrage, publié par Lambert Academic Publishing, est en vente en ligne ici, ou peut être commandé auprès de toute librairie avec la référence ISBN 978-3-659-66233-1. Il est vendu au prix de 49,90 €, et les droits d’auteur perçus sur la vente seront versés à l’EUBS afin de promouvoir la poursuite des recherches en médecine de la plongée.

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