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Art sous-marin : entretien avec Jason deCaires Taylor
Jason deCaires Taylor est un sculpteur, environnementaliste et photographe sous-marin professionnel. L’un de ses projets les plus récents est le fameux Museo Atlántico, une collection de plus de 300 sculptures submergées à Lanzarote, en Espagne, la première de ce style dans des eaux européennes. L’œuvre de Taylor est également exposée à la Biennale d’art de Venise, en Italie, jusqu’au 26 novembre. Dans le cadre de la toute dernière campagne de DAN Europe intitulée #WhyWeDoIt, Alert Diver a eu envie de se plonger dans le monde magique de Taylor.
Comment êtes-vous devenu plongeur-sculpteur ?
J’ai commencé ma formation en tant que sculpteur il y a environ 20 ans à Londres, alors que j’étais déjà plongeur. À ma sortie de l’école d’art, j’ai occupé différents emplois, y compris celui de moniteur de plongée. Au fil des ans, j’ai commencé à voir la mer comme un incroyable espace de création artistique et à me demander comment je pourrais ériger des œuvres d’art sous l’eau de manière à créer des récifs artificiels.
Ces pensées ont fait leur chemin jusqu’à ce que je décide, il y a environ dix ans, de construire un parc de sculptures dans les Caraïbes. J’ai commencé petit, dans une zone qui avait été décimée par un ouragan. Avec ce parc, je voulais redonner vie à la région et attirer l’attention sur les zones naturelles fragiles. Depuis lors, j’ai réalisé aux alentours de 800 sculptures sous-marines.
Qu’est-ce qui vous a rapproché de l’océan, et que signifie-t-il pour vous ?
Lorsque j’étais enfant, je vivais près de récifs coralliens. Mes parents louaient souvent un bateau le week-end pour partir à l’exploration d’îles vierges en Thaïlande et Malaisie. J’ai eu l’énorme chance de pouvoir vivre ces expériences incroyables à seulement 7 ou 8 ans. Elles ont laissé une trace indélébile dans mon esprit, et m’ont donné envie d’explorer à la fois les frontières artistiques et l’immensité des océans.
Le grand bleu est un monde de silence qui me permet de déconnecter totalement, de me retrouver seul avec mes pensées. C’est comme pénétrer dans un monde nouveau, complètement détaché du nôtre. Cet univers a quelque chose de très spécial.
Quel est votre objectif artistique ?
Mes projets ne sont pas axés uniquement sur le côté artistique, mais également sur la protection de l’environnement marin. Mes travaux suivent donc plusieurs objectifs. Sur le plan pratique, ils visent la création de récifs artificiels, en vue d’offrir un nouvel habitat aux coraux et autres créatures, ainsi qu’un lieu où les animaux marins puissent se réfugier.
L’objectif plus large est d’éloigner le public des habitats marins fragiles et de les attirer vers les plus grandes profondeurs, un univers caché trop souvent oublié. Par le biais de mes créations, je cherche à attirer l’attention sur les nouveaux problèmes auxquels sont confrontés nos océans, tout en mettant l’accent sur leur incroyable fragilité et leur grande beauté.
« Le grand bleu est un monde de silence qui me permet de déconnecter totalement, de me retrouver seul avec mes pensées. »
Pourquoi trouvez-vous important de sensibiliser le public, à travers votre art, à la négligence que subissent les océans ?
Cela fait maintenant 20 ans que je plonge. J’ai vu des endroits autrefois recouverts de récifs coralliens intacts, aux couleurs vibrantes et regorgeant de vie. Aujourd’hui, quand je retourne sur certains de ces sites, je vois qu’ils ont été complètement décimés. D’autre part, les pronostics scientifiques concernant l’avenir des océans sont extrêmement graves. Cela me préoccupe beaucoup. Je voudrais que mes enfants puissent vivre les mêmes expériences que moi lorsque j’avais leur âge.
L’art peut-il jouer un rôle dans la sensibilisation du public et inciter au respect des océans ?
Je pense que l’art est un outil crucial. Les scientifiques peuvent relayer des faits et des informations, mais comme on le sait tous, l’être humain est une créature à la fois très impulsive et très émotive. Je crois en la capacité de l’art de créer des liens entre les individus et la nature. Et j’ai l’espoir que ces liens motiveront les individus à protéger les océans.
Racontez-nous votre projet à Lanzarote. Qu’est-ce qui vous a amené là ?
Museo Atlántico se trouve à environ 400 m du littoral de Las Coloradas, et à environ 12-14 m de profondeur. Il compte 12 installations et comprend environ 300 œuvres qui parsèment les différentes zones du musée. Les visiteurs y descendent accompagnés d’un guide qualifié qui les amène séquentiellement sur chacune des expositions. Après quoi ils sont raccompagnés en surface jusqu’à leur bateau.
J’avais déjà réalisé plusieurs projets dans des eaux tropicales, principalement dans les Caraïbes, et j’avais très envie de travailler dans un nouvel environnement. Cette île est assez spéciale, car elle a un long passé artistique lié à l’environnement. Elle dispose de nombreuses installations au sol qui fonctionnent en synergie avec la nature. Lanzarote est dès lors apparu comme un endroit idéal pour la réalisation de ce projet.
Comment vous êtes-vous senti une fois le projet bouclé et une fois que les premiers visiteurs sont arrivés dans le musée ?
Ce projet a nécessité un travail colossal. L’obtention des permis, la réalisation d’enquêtes, la collecte de fonds, le dialogue avec les politiciens… Il y a eu énormément d’éléments clés dans la planification et le lancement de ce projet, sans parler de la construction du musée, qui a représenté une phase encore plus considérable.
Maintenant que c’est terminé, je suis soulagé. Je suis heureux de voir qu’un nombre grandissant de plongeurs viennent profiter du musée. Mais ce qui m’a fait le plus plaisir a été de voir comment la faune et la flore locales s’appropriaient peu à peu du site, l’intégrant naturellement à l’environnement marin.
Vous avez de nombreux autres projets en tête. Qu’est-ce qui vous pousse à continuer à créer ?
Je cherche toujours de nouveaux environnements, de nouveaux concepts et de nouvelles façons de parler des menaces auxquelles nos océans sont confrontés. Ces visions et le surpassement des nouveaux défis qui se présentent à moi sont ma principale force motrice.
Quelle leçon aimeriez-vous que le public tire de vos créations ?
On tend à oublier que nous, les humains, formons naturellement partie de l’environnement. Par ailleurs, le fait qu’il soit possible d’être recouvert par la faune et la flore marines et réabsorbé dans la planète me semble assez remarquable. Alors ce que j’espère que l’on retiendra de mes créations est cette dépendance mutuelle entre l’homme et l’environnement. Une relation qui est malheureusement rarement équilibrée.
Il s’agit en fait de mettre nos propres existences en perspective. Je pense qu’en incorporant des concepts modernes dans ce type d’environnement sous-marin dynamique, on peut brièvement se soustraire de nos propres vies et s’observer dans un contexte différent.
Dans votre conférence TED, vous avez affirmé que l’on devait traiter l’océan comme s’il s’agissait d’un musée, et le protéger en conséquence. Que voulez-vous dire ?
Nous avons donné le nom de « musée » à ces projets, car les musées ont une valeur très spécifique, et j’aimerais que cette même valeur soit accordée à nos océans. Lorsque des objets sont placés dans un musée, ils sont considérés comme précieux, dignes d’être préservés et appréciés. Je voudrais que le public ait la même attitude envers les océans. L’espace marin est incroyablement riche et beau, et pourtant trop souvent laissé aux oubliettes. En lui assignant la même valeur qu’à un musée, j’ai l’espoir que le rapport des individus avec l’océan puisse évoluer. J’aimerais modifier ce rapport de telle sorte que l’océan ne soit plus une source de craintes, mais que le public se rende compte qu’il faut le respecter et le chérir.
Quelle importance accordez-vous à la sécurité lorsque vous explorez le monde sous-marin ?
La sécurité est un aspect essentiel de tous mes projets. J’ai l’énorme chance de pouvoir choisir la plupart du temps l’endroit où je vais installer mes œuvres, ce qui me permet d’opter pour des sites sûrs, facilement accessibles, et situés à une profondeur raisonnable. De cette façon, je peux encourager les plongeurs novices à explorer le monde sous-marin dans un environnement très contrôlé.
Pour bon nombre de mes projets de musée, des gardes de parc marin surveillent le site, des bouées sont utilisées pour la descente et la remontée, et nous formons des guides à la réalisation de visites guidées des musées, de sorte que les plongeurs soient à tout moment en sécurité.
Dans quelle mesure l’organisation DAN vous soutient-elle, que ce soit en tant qu’artiste ou que plongeur ?
Travailler dans un environnement marin n’est pas sans danger, particulièrement dans le cas de ma profession inhabituelle et complexe. Bénéficier de cette sécurité que m’offre DAN, et savoir que je suis couvert en cas d’urgence, n’a pas de prix.