Plongeon au coeur du USS Barometer

Un bocal d’une hauteur de 18 mètres  pourrait être comparé à un baromètre de mercure utilisé pour mesurer la pression atmosphérique. Le baromètre se compose en fait d’un tube de verre de 6,35 mm de diamètre, dont l’extrémité ouverte (en bas) repose dans un bassin rempli de mercure. Le mercure dans l’extrémité supérieure du tube reste en suspension à environ 2,5 cm du haut du tube et se trouve à environ 76 cm au-dessus de la surface du bassin de mercure. La longueur de la colonne correspond à la pression atmosphérique ou barométrique, qui est de 1 kgf/cm² au niveau de la mer. En cas d’orage ou si le baromètre est emporté en haut d’une montagne (comme le faisaient les physiciens au 17e siècle), la hauteur de la colonne de mercure diminue à mesure que la pression barométrique baisse.
 

La colonne de mercure contenue dans le tube est poussée vers le haut en raison de la force exercée par la pression atmosphérique sur la surface du bassin. L’espace « vide » au sommet du tube est en réalité rempli des vapeurs émises par le mercure. Pour illustrer ce point, on pourrait fabriquer un baromètre avec de l’eau de mer à la place du mercure (en veillant à éviter tout contact physique avec le mercure étant donné sa toxicité). Si l’extrémité fermée d’un tube rempli d’eau de mer était progressivement élevée au-dessus du niveau de la mer, il resterait entièrement rempli d’eau jusqu’à ce qu’il atteigne une hauteur de 10 mètres au-dessus de l’eau. Au-delà de cette hauteur, l’eau de mer se stabiliserait à la hauteur de 10 mètres et cesserait de monter dans le tube, indépendamment de la hauteur à laquelle celui-ci seraitélevé.
Si le tube était suffisamment large pour accueillir un plongeur, celuici sentirait la pression baisser à mesure qu’il remonterait à l’intérieur du tube.
 

Le fonctionnement est exactement le même dans un baromètre au mercure. Des baromètres à l’eau douce ont également été fabriqués, mais au lieu de mesurer 76 cm de haut, ils mesurent 11 mètres de haut. En effet, une pression de 1 atmosphère correspond à la pression exercée par une colonne de 11 m d’eau douce, ou une colonne de 76 cm de mercure, ou encore une colonne de 10 m d’eau de mer. L’espace vide en haut du baromètre est constitué de vapeurs d’eau à une pression de 0,05 atmosphère absolue (ata). La pompe aspirante Un baromètre à eau et une pompe aspirante  ont beaucoup d’éléments en commun. Si vous ouvrez l’extrémité supérieure du baromètre de telle sorte que le tube est en contact avec l’air ambiant, l’eau retombe au niveau de la mer. Que se passe-t-il si on referme l’extrémité supérieure du tube et qu’on y fait le vide à l’aide d’une pompe aspirante afin de faire remonter l’eau de mer dans le tube ?

L’eau monte jusqu’à une hauteur de 10 mètres, puis s’arrête. Dans un puits d’eau douce, il est impossible de pomper de l’eau à une profondeur supérieure à 11 mètres, de même que l’eau contenue dans un baromètre à eau douce ne montera pas plus haut que 11 mètres. Des explications plus précises concernant ce phénomène seront fournies plus loin. Plonger en altitude Qu’est-il arrivé au poisson qui est remonté dans le bocal de Shayne Pemberton  dans sa mare aux tortues ? Et qu’arriverait-il à un plongeur s’il pouvait s’infiltrer dans un baromètre à eau ? Tout d’abord, rappelons que la pression au niveau de la mer, c.-à-d. en bas de la colonne d’eau, est d’une atmosphère (1 ata) et que la pression de la vapeur d’eau se trouvant dans l’espace en haut de la colonne d’eau, c.-à-d. 10 mètres plus haut, est de 0,05 ata.

Si le plongeur remontait de 5 mètres dans la colonne d’eau, la pression absolue serait d’une demi-atmosphère absolue (0,5 ata), soit l’équivalent de la pression barométrique à une altitude de 5,486 mètres. Si le plongeur remontait à 7 mètres, la pression ne serait plus que de 0,3 ata, ce qui équivaut à la pression barométrique rencontrée à une altitude de 9,144 mètres. Le sommet du mont Everest se trouve à 8 839 mètres d’altitude,et la combinaison spatiale d’un astronaute contient une pression équivalente à la pression atmosphérique à une altitude de 9 235 mètres. Notre plongeur se trouve dans un monde artificiel sujet à deux problèmes de plongée très improbables. Premièrement, un plongeur qui respirerait de l’air à 7 mètres dans la colonne d’eau perdrait connaissance en raison du manque d’oxygène (hypoxie), parce que la pression partielle d’oxygène à 9 000 mètres est de 0,06 atm seulement, ce qui correspond à 6 % au niveau de la mer. Pour éviter l’hypoxie, la combinaison spatiale d’un astronaute est remplie d’oxygène pur.

Deuxièmement, le plongeur développerait une maladie de décompression (MDD) d’altitude invalidante, voire mortelle, étant donné que l’azote dissous dans ses tissus passerait à l’état gazeux et formerait des bulles. Pour éviter la MDD, les astronautes respirent de l’oxygène pur pendant une durée pouvant atteindre 4 heures au niveau de la mer afin d’éliminer tout l’azote dissous dans leurs tissus avant de faire l’objet d’une décompression leur permettant de revêtir leur combinaison spatiale. Prenons l’hypothèse de l’environnement artificiel suivant : une colonne d’air (comprimable) de 330 48 mètres de haut est remplacée par une colonne d’eau de mer (incompressible) de 10 mètres de haut. Les deux colonnes exercent le même poids à la surface de l’océan. Une plongée dans un baromètre à eau serait dès lors un bon moyen d’illustrer les notions de pression relative et de pression absolue, si l’on pouvait  éliminer  les problèmes d’hypoxie et de MDD.
 

Une eau qui bout n’est pas nécessairement bouillante Pourquoi la hauteur de la colonne d’eau dans un baromètre d’eau de mer est-elle limitée à 10 mètres, et pourquoi est-il impossible de pomper de l’eau douce dans des puits plus profonds que 11 mètres ? La réponse repose sur un phénomène d’ébullition. À température ambiante (22 °C), la pression de la vapeur d’eau est de 0,05 atm. À mesure que l’eau se réchauffe, la pression de la vapeur augmente. Une fois que la température atteint 100 °C, la pression de la vapeur d’eau est d’une atmosphère (1 atm). Cela signifie que l’eau bout lorsque la pression de la vapeur est égale à la pression absolue. Voyons cela sous une autre perspective. Lorsque l’on se trouve en haut d’une montagne, l’eau bout à une pression (de vapeur) inférieure car la pression barométrique est plus basse. L’inverse est également vrai, par exemple dans une casserole à pression, la pression est  augmentée afin que l’eau bouille à une température plus élevée.

Formation de bulles lors de la décompression

Pour expliquer la formation de bulles pendant la décompression, nous pouvons tirer une leçon des informations  précédentes. Des bulles se forment lorsque la somme des pressions partielles de tous les gaz dissous (azote, oxygène, dioxyde de carbone, hélium, etc.), ajoutée à la pression de la vapeur d’eau, dépasse la pression absolue. C’est ce que l’on appelle la « sursaturation ». Il convient toutefois de préciser que pendant une plongée, contrairement au cas de l’eau qui bout, la pression de la vapeur d’eau est beaucoup plus faible que la pression partielle de l’azote dissous, de sorte que c’est l’azote, et non la vapeur d’eau, qui conduit à la formation de bulles.
 

Certains théoriciens de la décompression affirment qu’il est possible d’atteindre des niveaux de sursaturation plus élevés sans que des bulles ne se forment dans le sang et les tissus, mais si c’est le cas, il ne peut s’agir de niveaux beaucoup plus élevés. Des bulles dites « silencieuses », qui ne provoquent pas de signes ou symptômes de MDD, peuvent être présentes après toute plongée, même celles à faible risque. Les technologies de détection de bulles par ultrasons permettent de détecter des bulles dans l’organisme à des niveaux de sursaturation aussi faibles que 0,4 atm (4 mètres d’eau de mer). Peut-être que les sursaturations plus importantes dont il est fait mention dans les théories de décompression ne se réfèrent qu’aux bulles « pathologiques », et non aux bulles silencieuses qui sont trop petites ou qui ne se forment pas dans les tissus où elles sont susceptibles de causer des symptômes.
 

Nous pouvons tirer une autre leçon, un peu plus exotique cette fois, de la formationde bulles : de la vapeur d’eau ne se dégage de la surface de l’eau qu’en la présence d’une surface gazeuse adjacente. S’il n’y avait pas de surface gazeuse dans le baromètre à eau, il serait possible d’élever la colonne d’eau à des milliers de mètres dans l’air et de faire monter l’eau jusqu’en haut du tube du baromètre. Aussi étrange que cela puisse paraître, la pression au sommet de la colonne d’eau serait inférieure de plusieurs centaines d’atmosphères par  rapport à la pression atmosphérique. Ce phénomène a été démontré de façon expérimentale avec de l’eau très claire et avec de l’eau portée à une température extrêmement élevée sans qu’il y ait ébullition, alors que la pression de la vapeur d’eau est plusieurs centaines de fois plus importante que la pression atmosphérique. Lorsqu’une bulle d’eau pure finit par se former, cela signifie que   l’eau a atteint sa limite de rupture et commence à se « déchirer ». C’est ce qu’on appelle la formation de bulles de novo, ou « à partir du néant ». En réalité, les bulles se forment pratiquement toujours à partir de « quelque chose », en général une petite cavité de gaz (que ce soit dans l’eau de mer ou dans l’organisme).

À propos de l’auteur

Richard Vann a rejoint le Centre de médecine hyperbare et de physiologie environnementale de l’université de Duke dans le cadre de la réalisation d’un doctorat en ingénierie médicale. Il a étudié les phénomènes liés à la formation de bulles et aux échanges de gaz inerte. Il a développé les procédures de décompression utilisées dans le domaine de la plongée scientifique et par les astronautes lors de leurs activités extravéhiculaires depuis la Station spatiale. Richard Vann occupe le poste de vice-président de la recherche chez DAN.

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