Réactions psychologiques en plongée sous-marine : description d’un traitement
L’aspect psychologique des activités sous-marines mérite une attention particulière (2) : la plongée sousmarine requiert en effet un degré élevé d’adaptabilité du comportement. Du point de vue de la psychologie sportive, la pratique de la plongée sous-marine se caractérise par une performance physique de longue durée, un niveau moyen d’effort et la nécessité d’un équilibre mental approprié entre activation, concentration et détente.
Lors de plongées en eaux libres, les plongeurs sont confrontés à différents types d’événements. Leurs réactions aux différentes circonstances constituent dès lors un facteur prédominant dans leur aptitude à gérer la plongée.
Les réactions d’un plongeur au danger et aux situations pouvant présenter une menace sont aussi importantes que ses compétences techniques, comme la gestion de l’équipement et la planification appropriée d’une plongée. Il est considéré comme indispensable d’apprendre à réagir convenablement dans des situations de tension ou de peur. En fait, toutes les formations à des activités sous-marines devraient intégrer un cours sur la gestion des états émotionnels, car un plongeur ne peut réagir de la même façon dans un environnement hyperbare qu’il le ferait sur la terre ferme (3). Échapper à une situation, interrompre une plongée et sortir rapidement de l’eau sont autant d’exemples de comportements qui, s’ils ne sont pas gérés de manière réfléchie, peuvent mettre en péril la santé d’un plongeur et celle de ses compagnons de plongée. Apprendre à gérer des niveaux de stress de plus en plus élevés tout en maintenant sa lucidité et le contrôle de la situation est une aptitude qui s’acquiert progressivement et qui requiert de la patience. Il est important de développer ces aptitudes au même titre que les aptitudes émotionnelles et comportementales, qui sont liées de manière intrinsèque à la formation des plongeurs en scaphandre (4). Par ailleurs, apprendre à reconnaître ses limites et ses émotions (5) permet à un plongeur d’éviter les situations difficiles qui surviennent lorsqu’il n’est pas au mieux de sa forme mentale. Un plongeur qui est à même de déceler un sentiment momentané d’inefficacité, d’insécurité ou de manque de concentration peut décider d’éviter de plonger ou de planifier la plongée en tenant compte de son état (6).
Une connaissance approfondie de soi-même et une écoute appropriée de son corps semblent être les ingrédients clés pour faire face aux tensions mineures et majeures que peut nous réserver une plongée (7). Les psychologues peuvent jouer un rôle important dans la prévention du risque et dans la gestion des comportements qui ont une répercussion sur la sécurité de la plongée. Ils sont en mesure d’aider les plongeurs à résoudre des problèmes psychologiques qui suivent un traumatisme lié par exemple à un accident sous l’eau. La plongée et les facteurs de stress Les facteurs de stress sont des stimuli environnementaux interpersonnels qui requièrent une adaptation de l’organisme sur le plan biopsychosocial. La façon dont une personne réagit à un événement s’appelle l’adaptation. Celle-ci comprend des stratégies cognitives, des réponses émotionnelles et l’exploitation de ressources interpersonnelles. Lors d’une plongée, de nombreux facteurs peuvent intervenir dans la formation d’une situation stressante sous l’eau. Il peut s’agir d’événements liés à l’environnement, de dysfonctionnements du matériel ou de comportements d’autres personnes. À côté de ces éléments situationnels, il existe également d’autres facteurs qui influencent le niveau de risque ou de sécurité d’une plongée. Ces facteurs ont une incidence sur les réactions du plongeur et modifient la sensation de sécurité subjective préexistante. Des éléments liés à la vie terrestre du plongeur peuvent également avoir une influence sur ses réactions à des événements inattendus.
Lorsque l’organisme perçoit un danger, il peut faire l’objet d’une série de réactions complexes aux conséquences physiques et mentales variables, qui font intervenir un ensemble d’organes et d’appareils, notamment les systèmes nerveux, endocrinien et circulatoire, la structure musculaire, les organes des sens, etc. Le cerveau intervient également en agissant comme une interface entre l’organisme et l’environnement : c’est l’endroit où naissent les réactions, émotions, pensées, etc. Cette organisation biopsychique est couramment appelée le « système de lutte ou de fuite ». La peur est l’aspect émotionnel, vécu, d’une réaction complexe qui engage à la fois le corps et l’esprit et qui a été modelée au fil de l’évolution de l’homme. Elle se caractérise par des phénomènes et changements spécifiques enclenchés par l’organisme en vue de faire face aux dangers. Les réactions automatiques de l’organisme, qui ne sont pas influencées par l’apprentissage ou un raisonnement conscient, nous permettent de gérer une situation en nous écartant de la menace apparente, c’est-à-dire en fuyant une situation face à laquelle une réaction d’attaque semble inappropriée. Cela permet d’expliquer la réaction de fuite ou la tentation de fuir dont certains plongeurs peuvent parfois faire l’objet sous l’eau.
Ainsi, le problème n’est pas la peur ou l’inquiétude, mais l’incapacité de gérer consciemment les tendances archaïques de l’organisme liées à un tel état. La peur est déclenchée par un niveau d’activation physiologique (ou d’« activation cérébrale »), qui se manifeste par un état d’alerte et une capacité à mobiliser l’organisme face à un danger. Cette activation signifie que certains événements sont interprétés par l’organisme comme étant dangereux. Néanmoins, en nous soumettant à un entraînement et à de nouvelles émotions, nous pouvons donner un sens nouveau aux événements et modifier notre niveau d’activation physiologique ainsi que nos réactions consécutives. Se sentir en sécurité n’est pas la même chose qu’être effectivement en sécurité. Notre comportement dépend toutefois
plus souvent de notre évaluation subjective de la sécurité et du danger (8). De nombreux accidents subaquatiques sont liés à la gestion du comportement face à un danger (réel ou imaginaire). Plus particulièrement, un niveau élevé d’anxiété préexistante augmente le niveau d’inquiétude avec lequel une personne gère une plongée et rend plus difficile l’exercice d’un contrôle et d’une réflexion rationnels au moment d’agir. D’autres facteurs non liés à la plongée conditionnent également la manière dont nous nous comportons dans l’eau. En effet, certains aspects de notre vie terrestre peuvent affecter notre sensation de sécurité ou de vulnérabilité en plongée si ces aspects affectent le système général des certitudes dans la vie (9). La prédisposition d’une personne à gérer des événements dans un état d’inquiétude et à se sentir en danger peut dès lors générer un niveau initial d’anxiété qui réduira les capacités de la personne à gérer sa plongée. En fait, la présence d’un trouble d’anxiété, en particulier s’il est mal compensé, devrait au moins constituer une raison temporaire pour ne pas plonger, et devrait certainement inciter à renforcer les capacités mentales qui sont nécessaires à la gestion des états émotionnels et mentaux, par exemple au travers d’une formation spécifique.
Notons que certains troubles d’anxiété sont caractérisés par une crainte de perdre le contrôle, par un sentiment d’incapacité face à une menace, et par la tendance à s’imaginer ses réactions imminentes en cas de danger : la personne évoque et se concentre sur les différentes sensations corporelles qui sont normalement liées à un état d’activation physiologique. Ce mécanisme s’appelle l’anxiété anticipée, et conduit la personne à essayer de contrôler son niveau de crainte, ce qui ne fait que l’augmenter puisque la personne évoque sans cesse ses réactions et les amplifie au fil du temps, générant une boucle pathogénique. Secrètement, il est arrivé à de nombreux plongeurs de ressentir de la peur en plongée, à expérimenter de légers traumatismes qui ont par la suite généré une situation psychologique difficile. Il s’agit d’une sensation ambivalente dont les plongeurs ont généralement honte : d’une part, ils essayent d’éviter les situations similaires à celles qui leur ont fait peur, et d’autre part, ils ne peuvent s’empêcher de repenser aux sensations qu’ils ont eues ou à d’autres éléments générateurs d’anxiété. Suite à des situations difficiles, des séances de conseil ou de réhabilitation psychologique basées sur des méthodes cognitivo-comportementales, telles que l’EMDR (10) (méthode de désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires) offrent un soutien efficace. L’EMDR est une méthode que j’ai adaptée à un scénario de plongée dans le cas clinique décrit ci-après.
De telles méthodes sont également utiles lorsqu’une personne souffre d’un trouble de stress post-traumatique (11) ou de troubles d’adaptation (12). Ce type de troubles peut survenir suite à des expériences de plongée déplaisantes ou stressantes de natures diverses, et sont décrits dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM IV TR) (13). Ce manuel répertorie et définit les troubles en fonction des critères définis par la communauté clinique internationale.
Cas clinique
Le patient est un homme âgé de 25 ans. Lorsqu’il a vécu l’événement stressant, il travaillait comme guide sous-marin, un poste qu’il occupait depuis deux ans. L’homme est venu me voir pour une consultation psychothérapeutique après avoir souffert pendant deux ans de problèmes cliniques qui affectaient fortement son mode de vie. Sa principale requête était d’obtenir de l’aide pour améliorer sa qualité de vie et sa santé, afin de pouvoir reprendre la plongée ne fut-ce qu’en tant que hobby. Les premiers symptômes sont apparus lors d’une remontée d’environ 27 mètres, juste après avoir quitté le fond marin, à une distance à laquelle il n’apercevait plus le fond et ne voyait pas encore la surface. L’épisode m’a été relaté et défini comme une crise de panique associée à la perte par le plongeur de son masque. Les principaux symptômes qui sont apparus à la suite de cet événement, tels qu’ils m’ont été rapportés, étaient une incapacité persistante à retourner plonger, des symptômes d’isolation sociale, de l’anxiété et une humeur dépressive. Les symptômes d’anxiété, tels que l’agoraphobie, s’étaient intensifiés durant l’année qui a suivi l’accident, et étaient accompagnés d’une diminution des activités sociales et des heures de travail. Le patient avait alors consulté un psychiatre qui lui avait prescrit un traitement pharmacologique avec de l’escitalopram à une posologie de 20 mg (14) par jour, traitement qui était toujours en cours un an plus tard lorsqu’il est venu me voir pour une consultation psychothérapeutique.
Les symptômes présents au moment où il est venu me consulter étaient les suivants : des difficultés pour s’endormir, de fréquents états d’anxiété, de l’inquiétude concernant son état de santé (respiration difficile), un sentiment de constriction respiratoire, et l’évitement de situations particulièrement stressantes et requérant une implication personnelle, en particulier celles liées à une évaluation de ses performances. La sensation de panique sous l’eau l’avait amené à vivre un événement traumatique dans un environnement hostile incompatible avec sa réaction comportementale, ce qui avait engendré un sentiment de danger provoqué par son propre comportement. Une première reconstitution avait révélé que la crise de panique avait entraîné un mécanisme d’anxiété anticipée qui avait progressivement conduit le patient à restreindre ses comportements et habitudes de vie. Le premier évitement avait concerné la vie sociale du patient, étroitement liée à son identité (de plongeur et de guide). Cela avait engendré une réaction dépressive, poussant le patient à abandonner son travail et sa vie sociale avec un sentiment de défaite, de honte, d’incapacité et de réserve.
Une ancienne anamnèse décrivait un épisode d’anxiété et de panique dans une situation sans aucun rapport avec la plongée, lié à un sentiment subjectif de « peur de ne pas pouvoir y arriver » et à un schéma cognitif de nature phobique (15) (caractérisé par des périodes de retenue avec la peur d’une inaptitude à l’effort physique).
Lors d’une anamnèse récente, la personne s’est souvenue que durant les quelques jours précédant la plongée, elle avait dû faire face à un important conflit interpersonnel, un choix entre la restriction d’une activité et le risque d’abandon.
Le traitement, qui consistait en une psychothérapie cognitivo-comportementale individuelle, s’est étalé sur 15 séances. Après une phase d’évaluation, nous avons procédé à l’identification des souvenirs troublants et à leur désensibilisation, en suivant le protocole propre à l’EMDR (16). Cette activité s’est étendue sur environ la moitié des séances. Trois souvenirs évoquant différentes images ont notamment été désensibilisés. Il s’agit de souvenirs non élaborés liés à de nombreux moments effrayants de l’événement qui avaient été connectés à la réponse psycho-physique d’anxiété. Ces images étaient encore nettement présentes au début du traitement, sous forme de souvenirs sensoriels.
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