Ligne médicale
A la recherche du bien-être en plongée via une meilleure régulation de ses émotions
Vous venez de régler un problème et vous remarquez que votre rythme respiratoire est plus rapide que la normale. Vous faites une pause quelques instants et votre respiration se calme à nouveau. Vous commencez à penser à d'autres choses qui pourraient mal tourner et la peur se manifeste. Puis vous vous dites tranquillement que ces pensées ne vont rien vous apporter. Vous portez votre attention sur le présent et vous vous concentrez sur la plongée.
Sous l'eau, nous sommes vulnérables aux dangers posés par cet environnement. Cela peut générer toutes sortes d'expériences désagréables au plan humain : des réactions physiologiques au stress, des émotions non contrôlées et des schémas de pensée néfastes. Le fait de traiter des problèmes réels met à rude épreuve nos capacités cognitives et peut parfois entraîner une surcharge mentale. Cela peut avoir un impact direct sur nos performances et, si l'on n'y prend garde, peut transformer un désagrément en un incident majeur ! Même lorsque tout va bien, notre esprit peut générer un brouhaha mental qui capte notre attention et peut modifier des processus physiologiques tels que la respiration ou le rythme cardiaque. Cela peut notamment avoir des effets indésirables sur le contrôle de notre flottabilité ou sur notre consommation d'air.
Photo: Fifth Point Diving Centre
Si nous voulons être en mesure de plonger en toute sécurité, de réaliser des plongées plus longues et de mettre en pratique nos aptitudes avec compétence, nous devons être en mesure de nous contrôler. Se contrôler pour gérer les émotions réactives telles que la peur ou la frustration. Se contrôler pour maîtriser les réactions à la douleur et aux autres sensations. Se contrôler pour maîtriser sa concentration afin de rester attentif à la situation. Une bonne régulation des émotions et de l'attention est fondamentale pour la plongée, alors de quoi s'agit-il au juste ?
Pensez à votre détendeur de plongée. Que voulez-vous qu'il fasse ? Vraisemblablement, vous souhaitez disposer de gaz respiratoires adaptés à la profondeur et à une pression vous permettant de respirer confortablement. Si c'est ce que vous obtenez, alors l'équipement fonctionne efficacement pour en réguler l'approvisionnement. La régulation de l'approvisionnement en gaz respiratoires est un processus adaptatif, qui change en fonction de la profondeur et d'autres variables. Le comportement humain est régulé de façon similaire. La mécanique est un peu plus complexe, mais l'objectif fondamental est le même : que l'homme agisse de manière adaptée en toute situation. Le concept de régulation des émotions via le modèle des trois cercles de l'état affectif de Paul Gilbert est très utile.
Il décrit trois domaines essentiels de la régulation psychophysiologique qui évoluent selon le contexte :
- la menace/sécurité – l'activation du système nerveux sympathique qui conduit aux états de survie, de combat ou de fuite
- l'apaisement – l'activation du système parasympathique qui nous calme et nous permet d'atteindre des états de repos ou de régénération
- la motivation – l'activation de notre système de récompense pour stimuler l'action et la créativité.
Tous trois sont en constante adaptation pour répondre aux besoins de chaque situation. Ils peuvent être dérèglés par des stress physiques ou psychologiques qui peuvent être problématiques et constituer un obstacle à un comportement effectif ; par exemple, le fait d'être coincé en mode combat/fuite peut conduire à un état de panique.
Photo: Fifth Point Diving Centre
La régulation des émotions et de l'attention est au cœur de notre bien-être et de notre réussite dans la vie. Une adaptation souple au contexte nous permet de réagir efficacement et de nous épanouir. En période de difficultés, nos systèmes de régulation peuvent être submergés : nerfs fragilisés par l'inquiétude ou le manque de sommeil, processus endocriniens perturbés par un traumatisme et rythme cardiaque erratique dû au stress. Nos mécanismes psychologiques sont étroitement liés à ce dispositif physiologique, de telle sorte qu'ils s'influencent mutuellement. Par exemple, la rumination et la cogitation excessives déclenchées par l'anxiété face à la situation que nous traversons au niveau mondial peuvent enclencher un cycle susceptible de provoquer une maladie. Le contact direct avec des événements traumatisants peut influencer le corps et l'esprit de telle manière que la régulation reste endommagée longtemps après l'événement, ce qui peut créer un processus continu de dégradation des fonctions sociales et psychologiques.
Le repos, les rapports humains et les thérapies adéquates fonctionnent parce qu'ils rétablissent la fonction de régulation. Les thérapies psychologiques ciblent les processus cognitifs (la pensée), les souvenirs et les actions. La physiothérapie et le mouvement libèrent les tensions, améliorent la condition physique et aident à gérer ses pensées. Le fait de se sentir soutenu et d'appartenir à une communauté peut aider dans une large mesure une personne à se rétablir. La suppression ou l'évitement des facteurs de stress peut parfois fonctionner et jouer un rôle dans la régulation des émotions : par exemple, si le facteur de stress est une journée de travail de 14 heures, il est temps de faire une pause. Ou de partir plonger !
Photo: Fifth Point Diving Centre
Une étude a démontré que la plongée sous-marine avait des effets supérieurs aux autres activités récréatives en termes de réduction du stress. Les chercheurs ont suivi 67 membres d'un même club sportif pendant une semaine, évaluant leur niveau de stress et de bien-être. Environ 90 % des participants étaient stressés au départ, avec un score supérieur au seuil clinique. Environ la moitié des participants ont passé la semaine à faire de la plongée et les autres ont pratiqué plusieurs sports, dont le kayak, l'escalade et la randonnée. À la fin du programme et encore un mois après, les plongeurs ont montré une réduction persistante du score de stress perçu (p<0,01).
En revanche, pour le groupe multisports, il n'y a pas eu de changement statistiquement significatif du stress. En outre, 13,51 % des plongeurs ont vu leur score de stress perçu baisser en dessous du seuil clinique, contre 6,67 % pour le groupe multisports. Tout comme le groupe multisports, les plongeurs ont également montré une amélioration de leur humeur après leur séjour. Il s'agit d'une étude de faible envergure et il y a certains problèmes méthodologiques à prendre en compte, mais les résultats concordent avec les rapports anecdotiques selon lesquels les plongeurs se sentent mieux grâce à la plongée sous-marine.
L'effet thérapeutique de la plongée peut être utilisé en vue du rétablissement de personnes ayant subi de graves traumatismes ou blessures. Des recherches plus approfondies sur les effets thérapeutiques spécifiques sont nécessaires, mais il est clair que cet effet est multifactoriel. Les ingrédients comprennent probablement : la possibilité de s'échapper du quotidien, la déconnexion des technologies de communication, l'effet "Blue Mind" (sentiment d’apaisement lié à l'eau), divers effets associés à la pression hyperbare, l'amélioration de la respiration, l'appartenance à une communauté, le sentiment d'avoir un but, la nécessité de répondre à des défis… et bien plus encore.
Photo: Fifth Point Diving Centre
Des études en lien avec les programmes de rééducation de vétérans de l'armée blessés proposant de la plongée démontrent des effets qualitatifs et quantitatifs significatifs.
Il est également possible que la plongée améliore notre capacité de régulation primaire d'une façon qui nous permet de ramener ces changements à la surface. L'environnement de la plongée fournit un retour d’information naturel vers nos systèmes de régulation. Si nous sommes stressés, notre respiration se modifie. En circuit ouvert, cette réaction de stress peut être observée grâce aux bulles. En fait, des scientifiques ont déjà compté les bulles de plongeurs afin de quantifier les niveaux de stress : par exemple, dans une étude visant à évaluer les mérites de l'entraînement aux aptitudes mentales, des chercheurs ont mesuré la fréquence respiratoire en observant le nombre de fois que les bulles étaient expirées par minute. Les plongeurs apprennent ainsi à reconnaître les changements dans le contrôle de leur flottabilité ou de leur respiration comme indicateurs de leur état émotionnel et de leur état de concentration. On parle de "bio-feedback" naturel qui permet aux plongeurs d'apprendre à contrôler leurs processus cognitifs et physiques afin d'améliorer leurs performances ou leur état psychologique. En outre, à mesure que la technologie se développe avec des appareils portables capables de fournir une analyse en temps réel du rythme cardiaque et de la respiration, il est possible de mieux prendre conscience du lien entre le comportement des plongeurs et leurs états physiologiques. En prenant en compte ces informations, les plongeurs sont encouragés à améliorer la régulation de leurs émotions avec, à la clé, des plongées plus longues et plus relaxantes. En allant plus loin, une régulation efficace de nos émotions nous aide à rester concentrés et calmes sous pression.
En conclusion, la compréhension et l'amélioration de la régulation de nos émotions n'ont pas seulement un effet direct sur chaque plongée ; on commence aussi à prendre conscience que cela pourrait avoir des effets plus vastes profitant au bien-être général des plongeurs.
Photo: Fifth Point Diving Centre
A propos de l’auteure
Laura Walton est une psychologue clinicienne et une instructrice de plongée sous-marine qui associe la psychologie à la plongée pour aider des personnes dans leur pratique de la plongée. Elle propose des consultations psychologiques spécialisées pour les plongeurs et des cours accessibles à tous. Laura guide et enseigne la plongée sous-marine au Royaume-Uni depuis 2012, et est actuellement instructrice PADI IDC au Fifth Point Diving Centre, à Blyth, au Royaume-Uni.
Notes de l’équipe médicale de DAN Europe :
Pendant une plongée, l'apparition de symptômes pouvant être attribués à un état d'anxiété, tels que des palpitations thoraciques, une augmentation de la fréquence respiratoire ou des sentiments oppressants à propos de la plongée (le sentiment de ne pas y arriver, la crainte de ne pas pouvoir terminer la plongée comme prévu, le sentiment que la pression de l'eau et sa couleur bleue sont oppressantes ou difficiles à supporter, pour n'en citer que quelques-uns), doit être portée à l'attention d'un instructeur de plongée ou directement, si ce n'est grâce à son aide, à un professionnel de la santé mentale tel qu'un psychologue, un psychothérapeute ou un analyste.
Ces sensations ou symptômes pourraient en fait être les indicateurs d'une expérience importante enracinée dans notre histoire personnelle, dont les origines remontent à une époque plus lointaine. La résolution de la gêne ressentie lors de la plongée pourrait être trouvée dans une action de rationalisation de l'incident, en essayant de le décomposer en ses différentes parties et en les traitant individuellement, par exemple en partant de l'équipement utilisé, ou du mélange de gaz choisi, ou d'une meilleure connaissance de notre physiologie respiratoire. Cette approche peut toutefois ne pas suffire à résoudre un problème dont les racines sont beaucoup plus profondes et inavouées, ce qui nécessiterait une analyse plus approfondie. Dans ce cas, il pourrait être nécessaire d'ouvrir certaines brèches dans le temps et de faire le lien avec un passé qui pourrait s'être réactivé de manière inattendue en présence de conditions similaires au traumatisme initial. En conclusion, ne sous-estimez jamais les manifestations du corps, surtout lorsqu'elles se produisent en plongée.
- Référence à l’étude “Deptherapy” (en anglais) : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29958006/
- Etude sur la réduction du stress (en anglais) : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5741699/
- Qu’est-ce que le « biofeedback » ? (en anglais) : https://www.mayoclinic.org/tests-procedures/biofeedback/about/pac-20384664
- Décompte des bulles (en anglais) : https://www.researchgate.net/publication/235925561_Effectiveness_of_a_mental_training_program_for_novice_scuba_divers