Rencontre avec une pieuvre aux anneaux bleus

Tous les plongeurs ont un penchant aventurier, qu’il s’agisse d’explorer les profondeurs sous-marines, de s’infiltrer dans les cavernes subaquatiques ou encore de s’enthousiasmer d’une rencontre avec des créatures aussi belles que vénéneuses. C’est également le cas d’Elizabeth Cook et de Robert Yin, qui nourrissent une véritable fascination pour la pieuvre aux anneaux bleus. Nous avions déjà publié un merveilleux récit par Elizabeth et Robert sur la beauté périlleuse de cette créature dans l’édition III 2003. Cet article nous remémorait toutes ces destinations lointaines qui nous attirent par leurs charmes aux dangers masqués. Kapalai est un site superbe, décrit par certains comme « un rêve suspendu entre le ciel et l’eau ». Il s’érige de façon inattendue de la mer de Célèbes, telle une illusion parmi les nombreuses îles malaisiennes. D’élégants chalets bord de l’eau aux toits inclinés se dressent de manière triomphante sur les pilotis déployés à la surface d’une eau turquoise riche en poissons. En m’approchant de l’île à bord de mon bateau, je ne pouvais m’empêcher de penser : « Ceci est un rêve d’architecte ». Fascinée par le spectacle, j’hésitais entre me précipiter sur le ponton pour explorer ce village sur l’eau, ou sauter par-dessus bord et faire connaissance sans attendre avec la faune sous-marine locale. Optant pour une arrivée plus courtoise, j’ai été chaleureusement accueillie sur le ponton par les membres du personnel qui se sont empressés de rassembler mon équipement et de me guider jusqu’à mon chalet.

La vie sous-marine nocturne
Trente minutes plus tard, je me suis équipée et, lampe de plongée en mains, j’ai pénétré dans l’eau accompagnée du Divemaster pour une plongée découverte de crépuscule-nuit. Après avoir contourné un poisson-crocodile à moitié endormi sur la dernière marche du ponton, nous sommes descendus progressivement jusqu’à 13,7 mètres, le long du mur de corail d’où se détachaient gorgones et autres formations coralligènes qui abritent crabes, gobies et dragonnets.
Nous nous sommes arrêtés un moment pour rendre hommage aux poissons-mandarins ornés de couleurs somptueuses, en train de s’accoupler. Les mâles sont très faciles à identifier car ils sont deux à trois fois plus grands que les femelles. Quatre ou cinq femelles se faufilaient à travers les coraux, poursuivies d’un seul mâle. On aurait dit qu’ils jouaient à chat perché. Lorsque le mâle attrapait une femelle intéressée, ils s’élevaient tous deux d’environ un mètre vers la surface, relâchaient oeufs et sperme, puis retournaient vite s’abriter sous les coraux protecteurs.
 

Nous avons ensuite croisé une grande pieuvre empreinte de dignité, les tentacules enroulés autour d’une patate de corail. Notre présence n’a pas eu l’air de l’inquiéter. Le faisceau de nos lampes de plongée s’est arrêté sur un poisson-grenouille aux couleurs vives, installé sur une éponge incrustante rouge. Au moment où nous l’avons aperçu, il essayait d’attirer les proies les plus proches qui lui serviraient de repas. En un temps record, il a agité son leurre, ouvert sa gueule immense, puis l’a refermée d’un coup sec. Cela s’est passé tellement vite que les animaux alentour n’ont même pas frémi. Je ne peux néanmoins pas affirmer avec certitude qu’il a attrapé quelque chose. Après ces charmantes rencontres, il était hélas déjà temps de terminer la plongée et de retourner au ponton. En m’apprêtant pour aller dormir, j’avais la tête emplie de photos que je pourrais prendre le lendemain matin.

Le lendemain matin
Au lever du jour, j’ai replié les jolies persiennes qui formaient la paroi arrière de mon chalet. En ouvrant la porte d’entrée, j’ai senti la chaleur du soleil levant qui déversait ses rayons sur le parquet. Tout en préparant mon appareil photo, je repensais à l’évolution de Kapalai qui avait été une petite île couverte de végétation il y a de nombreuses années d’ici. Elle fait partie du vaste récif du Ligitan qui longe la mer de Célèbes. Avec le temps, la végétation de l’île a disparu et l’érosion a réduit l’île au minuscule cordon sablonneux sous-marin tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il est parfois possible de s’ypromener à marée basse. Mais une fois que la marée monte, le cordon sablonneux se transforme en berceau pour les bébés raies pastenagues à points bleus. Mon compagnon de plongée est arrivé sur le Celebes Sea, un bateau de croisière-plongée local.
 

Nous avons parlé des récifs et des animaux sous-marins que les plongeurs à bord du bateau avaient déjà pu voir les jours précédents. Parmi d’autres merveilles, ils ont mentionné un couple de pieuvres aux anneaux bleus qui s’accouplaient. La rareté d’une telle rencontre ne m’avait pas frappé. La seule chose dont je me souvenais était son dard mortel. Nous avons passé quelques jours à faire connaissance avec la vie marine sous le ponton. Le bateau nous a ensuite amenés sur plusieurs récifs aux alentours de Kapalai. Près du site « Paradise » à Mabul, nous avons pu photographier des hippocampes ainsi qu’une pléthore de balistes hirsutes, de pégases, de serpents de mer aux écailles en mosaïques et d’autres poissons exotiques. Nous ne nous sommes pas arrêtés sur le site de Sipadan et ses magnifiques tortues d’eau, madeleineaux et barracudas car nous y avions déjà effectué plusieurs plongées lors de séjours précédents. Nous avons plutôt opté pour le site du complexe de Seaventure, une ancienne plate-forme pétrolière aménagée pour les plongeurs. La plate-forme abrite une faune unique, dont des poissons-grenouille jaunes de la taille de ma tête et d’élégantes chauves-souris de mer posant avec grâce à l’intérieur de la superstructure submergée.

Un visiteur mortel
Après plusieurs jours de plongée, mon compagnon de plongée a découvert une autre pieuvre aux anneaux bleus. Il était transporté de joie ! En me faisant des signes vigoureux de la main, il m’a encouragée à m’approcher de cette petite créature venimeuse. L’objectif, comme je l’avais très clairement compris, était de m’utiliser comme repère en plaçant ma tête près de cette minuscule bestiole.
J’ai observé avec respect ce petit luron de 15 cm qui fouillait le corail à l’aide de ses tentacules, à la recherche de petits crustacés et poissons enfouis dans les crevasses. Même si elles ne sont pas agressives, les pieuvres aux anneaux bleus sont connues comme étant extrêmement toxiques. Je ne pouvais m’empêcher de penser à sa toxicité potentiellement mortelle à mesure que j’observais ses mouvements rapides et agiles.
Mon ami a pris plusieurs photos de la pieuvre avant qu’elle ne s’enfonce dans une crevasse. Plus tard, il m’a avoué qu’en 40 ans de plongée, avec des milliers de plongées à son actif, il n’avait fait que quelques rares rencontres avec cette créature. En l’écoutant, je me suis dit que je n’aurais peut-être plus jamais l’occasion d’en revoir. vivente.

Un rendez-vous romantique
À mesure que les jours passaient, j’avais de plus en plus envie de me concentrer sur les nombreuses patates de corail qui recouvraient le lit de mer incliné sous le ponton et de laisser les départs en bateau à horaires stricts aux autres. J’ai décidé qu’il était temps de tenter ma chance avec le beau petit poisson-mandarin qui ne se laissait pas facilement prendre en photo. J’ai préparé mon appareil photo et rejoint le « palais des mandarins » d’un pas décidé. J’ai choisi un endroit où je pouvais caler ma tête sous un petit recoin à la base d’un grand corail. Tous mes sens étaient en alerte et focalisés sur mon objectif. Je me suis concentrée pour es- sayer d’avoir un gros plan des poissons-mandarins dansant au-dessus des coraux épars. Après quelques photos prises avec une vigilance sans faille, j’ai aperçu du coin de l’oeil quelque chose qui virevoltait près de mon masque. Je n’y ai pas fait attention tout de suite comme j’étais toujours concentrée sur les mandarins. Plusieurs fois, j’ai ignoré cette agitation près de mon masque. Les mouvements se poursuivaient néanmoins dans mon champ de vision latéral. Irritée, je me suis tournée pour chasser l’intrus. Juste au moment où j’ai reculé la tête, à ma grande surprise, j’ai vu une minuscule pieuvre couverte d’anneaux bleus scintillants. Je n’en revenais pas ! Doucement, j’ai tourné mon appareil photo vers la pieuvre. Les mains tremblantes, j’ai ajusté l’éclairage, tout en surveillant la pieuvre du coin de l’oeil. J’ai baissé la tête vers le viseur, fait la mise au point, puis posé mon regard à nouveau sur la créature par-dessus l’appareil photo.
 

J’avais les yeux écarquillés : il ne s’agissait pas d’une pieuvre aux anneaux bleus, mais de deux ! Elles semblaient profondément amoureuses, le mâle entourant la femelle de ses tentacules protecteurs. Mon rythme cardiaque s’est accéléré. Mon cerveau a rassemblé en un rien de temps toutes les informations dont il disposait concernant l’appareil photo : combien de temps de film me restait-il ? Mes flashs étaient-ils positionnés selon un angle correct ? Avaient-ils eu le temps de se recharger ? Quel était mon angle d’ouverture ? Avais-je un champ de vision clair ? Presque automatiquement, je me suis mise à prendre des photos des créatures, en attendant patiemment entre chaque prise que mes flashs se rechargent – ces secondes paraissaient une éternité. Une photo, puis deux, puis trois. Les pieuvres aux anneaux bleus sont restées près de moi. « Encore une photo, juste une », ai-je supplié. « Sortez de ce rocher », me disais-je en espérant qu’elles se mettent à bouger. Incroyablement, elles se sont glissées vers moi, puis ont prudemment reculé vers le côté. J’ai réussi à prendre une dernière photo avant qu’elles ne s’engouffrent dans une minuscule crevasse masquée par un rideau de poissons-mandarins.

Avec la certitude qu’au moins une des prises serait bonne, j’ai poussé un profond soupir et me suis éloignée de la patate. Arrivée à la surface, je ne pouvais pas attendre de partager ma chance avec mon compagnon de plongée qui avait fait surface non loin de moi. Lui et le Divemaster n’ont même pas attendu que je termine mon récit, tout ce qu’ils voulaient savoir était où les pieuvres. Ils sont redescendus dans l’eau, en prenant à peine le temps de refermer le boîtier de leur appareil photo. Malheureusement pour eux, ils n’ont jamais trouvé le couple de pieuvres, ni rencontré aucune autre pieuvre aux anneaux bleus durant notre séjour. Plusieurs mois plus tard, j’ai repensé aux expériences que j’avais vécues à Kapalai. J’avais du mal à me souvenir précisément des 38 plongées que j’avais réalisées. Mais je me remémorais de temps en temps l’excitation que m’avait procurée ma découverte ce jour-là. Honnêtement, j’avoue que je n’arrivais plus à me faire une image nette de ces pieuvres en train de s’accoupler. Est-ce possible que la magie de Kapalai ait créé une illusion dans mon esprit ? Pour me rassurer, j’ai ressorti mes tirages une fois de plus.
 

Conseils de sécurité à l’intention des photographes sous-marins Souvenez-vous de respirer. Ne négligez pas la « règle d’or » de la plongée sous-marine : ne jamais retenir sa respiration. Les apnées en plongée peuvent avoir des conséquences graves, pouvant aller jusqu’à la surpression pulmonaire. Maîtrisez votre flottabilité : d’un point de vue purement pratique, une excellente flottabilité est essentielle pour un photographe. En parvenant à rester en suspension au-dessus du récif, vous évitez d’endommager non seulement votre appareil photo, mais également le récif et les animaux qui s’y trouvent, comme les nudibranches, les anémones ou d’autres créatures qui se déplacent lentement. Vous évitez également de brasser le sable avec vos palmes et d’en répandre du sable devant votre objectif ou celui des autres photographes. Surveillez votre lestage : la photographie sous-marine est sans doute le type de photographie qui impose le plus grand nombre de contraintes. Certaines erreurs pouvant être fatales pour les plongeurs, ceux-ci doivent être tout à fait à l’aise avec les exigences de ce sport avant de pouvoir assumer le poids supplémentaire d’un appareil photo et des équipements et autres distractions qui l’accompagnent. Vérifiez votre matériel de plongée : la vérification régulière de vos instruments doit devenir un automatisme. Fixez-vous une limite d’air et tenez-vous-y fermement. Lorsque vous atteindrez 35 bars, c’est à ce moment-là qu’un requin décidera d’apparaître devant vous. Établir une limite et s’y tenir demande une réelle discipline. Mais votre vie et celle de votre compagnon de plongée pourraient en dépendre.

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