Un cœur sous pression
La plongée est une activité à la fois relaxante et physiquement éprouvante. Lors d’une immersion de plusieurs mètres, le corps subit la pression d’une grande quantité d’eau. C’est pourquoi les plongeurs apprennent différentes techniques qui aident l’organisme à s’adapter aux variations de pression et à équilibrer la pression à l’intérieur de l’oreille moyenne avec la pression ambiante de l’eau. Ces techniques déclenchent une série de variations de pression internes qui permettent à l’organisme de s’accoutumer au nouvel environnement. Mais que se passe-t-il en cas de légère anomalie au cœur entravant cette série d’adaptations automatiques de l’organisme ? Quelles peuvent être les conséquences d’une anomalie cardiaque si petite qu’elle passe inaperçue dans des circonstances normales, mais pouvant exposer le plongeur à d’importants risques lorsqu’il est soumis à une pression accrue sous l’eau ? Je me réfère au foramen ovale perméable (FOP), une petite ouverture dans la cloison, ou septum, interauriculaire, qui sépare les deux cavités supérieures du cœur (les oreillettes), et aux répercussions qu’il peut avoir chez le plongeur.
Des études scientifiques ont montré que la manœuvre de Valsalva, réalisée en pinçant le nez d’une main et en soufflant avec la bouche fermée et le nez bouché, déclenche une série de variations de pression dans l’organisme. Cette manœuvre commence par une inhalation profonde, qui entraîne une diminution de la pression dans la cavité pleurale entre les poumons (pression intrathoracique). Ensuite, le plongeur expire pendant quelques secondes contre la résistance formée par la bouche fermée et le nez pincé, ce qui entraîne une augmentation de la pression intrathoracique. La pression générée à l’intérieur du thorax pendant ce laps de temps empêche pratiquement le sang de s’introduire dans le cœur. À la fin de l’expiration, la pression dans le thorax se relâche et le sang afflue alors abondamment dans l’oreillette droite. Cet afflux important de sang provoque une augmentation de la pression dans le côté droit du cœur au détriment du côté gauche, ce qui entraîne un bombement de la cloison interauriculaire vers le côté gauche. En cas de foramen ovale perméable, une échocardiographie transœsophagienne montre que cette inversion de la pression entre les oreillettes gauche et droite produit une ouverture marquée du FOP.
Un FOP est un phénomène plutôt courant ; de nombreux plongeurs présentent une ouverture dans le septum interauriculaire sans même le savoir. Étant donné que la manœuvre de Valsalva et d’autres manœuvres utilisées en plongée pour l’équilibrage des oreilles moyennes exercent une pression sur le cœur, DAN Europe a reconnu la nécessité d’explorer les effets de ces manœuvres en termes de variation de la pression interne et leurs répercussions sur le FOP. DAN a mené une étude sur 16 plongeurs expérimentés (4 femmes et 12 hommes) âgés de 22 à 39 ans, qui ont reçu pour consigne d’effectuer les manœuvres suivantes utilisées en plongée : contrôle, Valsalva léger, Valsalva forcé, Valsalva calibré, tousser, plier les genoux en effectuant un Valsalva, plier les genoux en respirant normalement et enfin réaliser une contraction isométrique. Les chercheurs ont analysé le niveau de pression intrathoracique engendrée par ces manœuvres et ont comparé les valeurs mesurées avec le niveau de pression initial. Cela leur a permis de déterminer si une manœuvre provoquait une hausse ou une baisse de la pression intrathoracique. Ils ont ensuite comparé les données recueillies pour chaque manœuvre : les résultats ont montré que la manœuvre de Valsalva, ainsi que d’autres manœuvres d’équilibrage utilisées en plongée, n’entraînait qu’une faible augmentation de la pression intrathoracique. Il est peu probable que de si petites variations de la pression puissent causer un écoulement de sang notable à travers un FOP. En revanche, les chercheurs de DAN ont découvert qu’en cas de réalisation d’une manœuvre de Valsalva forcée, c’est-à-dire en utilisant les muscles abdominaux, il se produisait des variations de pression significatives qui entraînaient un afflux sanguin important vers le côté droit du cœur, susceptible de créer une ouverture d’une taille suffisante pour permettre l’écoulement de sang à travers le FOP.
Comme nous l’avons commenté plus haut, une telle ouverture dans le septum interauriculaire n’est pas rare, et la plupart des gens réalisent quotidiennement des efforts qui provoquent un écoulement de sang à travers l’ouverture du septum, de l’oreillette droite vers l’oreillette gauche. Alors pourquoi un FOP ne devient-il réellement dangereux qu’en plongée ? Parce qu’il laisse passer les bulles ! Le sang contenant ces bulles, qui se sont formées pendant la plongée, passe dans l’oreillette droite. De là, il est normalement expulsé vers les poumons, où les bulles sont interceptées et l’azote expiré. Toutefois, si le sang passe à travers le FOP, de l’oreillette droite vers l’oreillette gauche, les bulles d’azote peuvent elles aussi passer de l’autre côté du cœur. Elles sont alors réinjectées dans la circulation sanguine, où elles peuvent continuer à grossir et entraîner un risque d’embolie gazeuse d’azote. DAN a rencontré des cas de plongeurs expérimentés, plus âgés, ayant développé une maladie de décompression après une plongée sans raison apparente, alors qu’ils avaient respecté toutes les règles de sécurité de la plongée et qu’ils n’avaient jamais eu de problème auparavant. Dans tous les cas examinés, une échocardiographie transœsophagienne a permis de détecter un FOP de grande taille.
L’étude de DAN a montré qu’une manœuvre de Valsalva forcée provoquait une hausse suffisamment importante de la pression intrathoracique pour que l’afflux de sang dans l’oreillette droite entraîne l’ouverture du FOP. Il est donc important d’enseigner aux plongeurs présentant un FOP qu’une manœuvre de Valsalva forcée est à éviter. L’étude a mis en évidence que d’autres manœuvres d’équilibrage moins invasives n’entraînaient pas de variation significative de la pression intrathoracique et ne constituaient pas un risque pour les plongeurs présentant un FOP. Ces autres manœuvres, qui utilisent uniquement la mâchoire et la gorge pour l’équilibrage, et non les muscles abdominaux, devraient faire l’objet d’une attention particulière lors des entraînements de plongée. Suite à cette étude, le principal conseil des chercheurs de DAN aux plongeurs présentant un FOP est d’éviter les manœuvres d’équilibrage provoquant une augmentation de la pression intrathoracique à la remontée. Il est également recommandé d’éviter tout effort impliquant les muscles abdominaux, comme monter à l’échelle du bateau en étant encore équipé ou gonfler le gilet de stabilisation à la bouche en surface, ainsi que tout exercice physique faisant travailler les bras et les jambes après la plongée. En effet, des bulles silencieuses peuvent être détectées dans les veines jusqu’à deux heures après la plongée, et les activités qui impliquent les muscles abdominaux provoquent une augmentation de la pression au niveau du cœur, risquant de provoquer l’ouverture du FOP et l’écoulement de sang dans la mauvaise direction avec pour conséquence la réinjection des bulles dans la circulation. En conclusion : après une plongée, détendez-vous et évitez de mettre votre cœur sous pression !